IUD : Bonjour M. Blanchette. En tant que travailleur social, vous vous intéressez particulièrement à la consommation sexualisée (chemsex). Qu’est-ce qui vous a poussé à vous y intéresser? Y a-t-il eu un événement ou une rencontre déterminante dans votre parcours?
Maxime Blanchette : Eh bien, en tant que travailleur social, c’est avant tout mon expérience sur le terrain qui m’a amené à m’intéresser à la consommation sexualisée. Depuis une dizaine d’années, je travaille avec des personnes ayant des profils marqués par la consommation. Beaucoup d’entre elles associaient leur consommation à leur sexualité, mais à mes débuts, nous n’y prêtions pas une attention particulière. On intervenait à la fois sur la consommation et la sexualité sans se poser de questions plus poussées sur ce phénomène.
En 2017, tout a changé lorsque j’ai commencé à travailler à la clinique médicale l’Actuel. Là, je côtoyais presque exclusivement des hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (gbHARSAH) se livrant à des pratiques de consommation sexualisée. Ce contexte m’a frappé, car je crois que j’étais l’un des seuls intervenants dans le réseau public québécois à offrir des services spécialisés en rapport avec cette pratique. Je me suis alors rendu compte qu’il y avait un vide, non seulement dans les services offerts, mais aussi dans la littérature scientifique. Ce manque de service m’a motivé à m’investir davantage pour combler ces lacunes. Comme bien des gens qui s’engagent en recherche, je voulais changer les choses.
IUD : Pourquoi avez-vous choisi de faire un doctorat sur le sujet et en quoi cette décision a-t-elle influencé votre carrière? Quels étaient vos objectifs lors de vos études doctorales?
M. B. : Je me suis demandé comment je pourrais exercer une véritable influence sur les politiques publiques et sur la perception des gens à propos de la consommation sexualisée. Je me suis dit que devenir professeur et chercheur pourrait être la meilleure façon d’y parvenir. C’est ainsi que j’ai décidé de me lancer dans un doctorat. J’ai alors approché Jorge Flores-Aranda, qui m’a ensuite mis en contact avec Mathieu Goyette et Karine Bertrand. Avec eux, j’ai formé ce que j’aime appeler ma « trinité de direction ». Leur encadrement a été essentiel pour mener à bien cette aventure doctorale.
Mon objectif principal était donc clair : formuler des recommandations pour les interventions auprès des populations pratiquant la consommation sexualisée. Il était crucial pour moi, en tant que clinicien, que mes recherches aient des retombées concrètes sur le terrain. Je voulais outiller les intervenant.e.s et les rendre plus à l’aise pour aborder ces questions complexes, qu’il s’agisse de consommation ou de sexualité. Mon ambition était de créer un impact tangible, de changer les pratiques et d’améliorer l’accès à des services adaptés aux besoins des personnes concernées.
IUD : Vous portez deux chapeaux en maintenant votre pratique en parallèle de vos travaux de recherche. Comment cela influence-t-il votre manière de mener vos recherches? Quels avantages voyez-vous à combiner pratique, recherche et enseignement?
M. B. : Oui, je continue d’exercer une pratique privée en travail social auprès des gbHARSAH ayant des pratiques de consommation sexualisée. Même si ma semaine est déjà bien remplie avec mes responsabilités de professeur et de chercheur, cette pratique est, à mes yeux, essentielle. Elle me permet de rester connecté au terrain, aux gens, de ne pas perdre mes compétences cliniques et de rester cohérent avec mes valeurs, puisque c’est justement mon expérience de clinicien qui m’a poussé à faire un doctorat et amené où je suis.
Ma pratique enrichit aussi mes activités d’enseignement et de recherche. J’enseigne principalement des cours d’intervention et, grâce à mon expérience, je peux m’inspirer de situations concrètes et anonymisées avec mes étudiant.e.s. Cela me permet de leur montrer la diversité des approches en intervention, d’encourager la réflexion critique et de démontrer l’importance de l’humilité dans la relation d’aide. Du côté de la recherche, cette connexion directe au terrain nourrit ma compréhension des enjeux actuels et m’aide à développer des projets qui répondent aux besoins réels des communautés. C’est également pour cette raison que je privilégie les approches participatives qui permettent de co-construire des solutions en collaboration avec les personnes concernées.
IUD : Vous intégrez souvent des exemples de votre pratique dans vos cours. Comment cette approche influence-t-elle l’apprentissage de vos étudiant.e.s?
M. B. : Mon approche, qui intègre des exemples inspirés de ma pratique dans mes cours, crée des liens concrets entre théorie, recherche et pratique, ce qui a une incidence considérable sur l’apprentissage des étudiant.e.s. Par exemple, lors d’un récent séminaire à la maîtrise, j’ai utilisé cette méthode pour montrer comment la recherche peut transformer les pratiques et contribuer à des changements sociaux tangibles. Mon double rôle de clinicien et de chercheur me permet d’illustrer comment ces deux sphères s’enrichissent mutuellement.
J’aime dire que je suis « bilingue » : non pas en fait de langue, mais en matière de capacité à faire des liens entre la pratique et la recherche. Cela me permet de leur montrer que la recherche ne se limite pas à des théories dans un bureau, mais qu’elle peut avoir des retombées concrètes sur les communautés et contribuer à des transformations sociales.
L’effet sur les étudiant.e.s est souvent remarquable. Ce jour-là, les membres de la cohorte sont passés d’une certaine appréhension face à l’ampleur de leur projet de maîtrise à un réel enthousiasme pour explorer comment ils pouvaient intégrer la recherche dans leur pratique. En m’appuyant sur ces exemples concrets, je leur montre aussi que la recherche peut être un levier puissant pour promouvoir la justice sociale. Cela les aide à comprendre comment ils peuvent contribuer, dans leur pratique, à un traitement équitable des personnes et à la transformation des inégalités structurelles. Cette démarche suscite également un intérêt accru pour la recherche chez mes étudiant.e.s de premier cycle en leur montrant qu’elle peut être dynamique, passionnante et ancrée dans des réalités concrètes. En gros, cela leur permet d’imaginer des pratiques professionnelles plus innovantes, engagées et ayant une incidence significative dans leurs futurs milieux d’intervention.
IUD : Vous mentionnez vous concentrer sur l’amélioration des interventions en cas de consommation sexualisée. Comment comptez-vous soutenir les professionnel.le.s de la santé dans ce domaine?
M. B. : Nous travaillons actuellement à l’élaboration d’un guide de bonnes pratiques pour les interventions dans les contextes de consommation sexualisée. Ce guide est encore en cours de développement; nous en sommes à l’étape de la revue systématique de la littérature. Il vise à fournir des repères clairs pour combler les lacunes en matière de connaissances et de compétences des intervenant.e.s, notamment concernant la consommation sexualisée. L’accent sera mis sur trois axes fondamentaux : le savoir-être, le savoir-faire et les connaissances spécifiques, en insistant particulièrement sur l’importance d’une attitude ouverte et sans jugement dans les interventions.
En parallèle, une formation sera développée pour accompagner l’implantation du guide. Cette dernière abordera les enjeux liés à la sexualité dans une perspective inclusive, qu’il s’agisse des premières relations amoureuses, de la diversité sexuelle ou des défis liés à la consommation. L’objectif est d’aider les intervenant.e.s à adopter des approches plus adaptées et sensibles aux réalités des personnes qu’ils ou elles accompagnent.
La formation accompagnée du guide aura également une portée sociale importante puisqu’elle contribuera à lutter contre la stigmatisation et à réduire les risques pour les personnes concernées. Elle visera également à aider les professionnel.le.s à diminuer les microagressions, souvent inconscientes, en les amenant à mieux comprendre la diversité des réalités sexuelles et à adopter des approches inclusives. Nous menons également une évaluation de besoins en matière d’adéquation des interventions et des services offerts aux populations de la diversité sexuelle et de genre dans les trois CISSS de la Montérégie et des cinq CIUSSS de Montréal.
IUD : En terminant, pourriez-vous nous faire part de quelques-uns de vos projets de recherche futurs? Souhaitez-vous explorer de nouvelles pistes ou approfondir certains aspects déjà étudiés?
M. B. : Pour les prochaines années, je souhaite me concentrer sur le développement et la mise en œuvre du guide de bonnes pratiques pour les interventions dans des contextes de consommation sexualisée. Ce projet, échelonné sur trois ans, comprend également une évaluation des besoins des professionnel.le.s de la santé et des communautés LGBTQIA+ afin de mieux comprendre les lacunes dans les services existants et de voir ce que nous devons co-construire pour avoir des services plus adaptés. L’objectif est de s’assurer que les interventions sont alignées sur les réalités et les attentes des personnes concernées. J’aimerais aussi, à terme, travailler sur une phase d’implantation pour appliquer concrètement les résultats de cette évaluation.
Un autre axe de recherche qui m’intéresse est l’exploration des besoins propres aux populations immigrantes, notamment celles confrontées à des contextes de consommation sexualisée et à une grande précarité. Ma pratique me montre qu’il existe des enjeux particuliers pour les personnes réfugiées, demanderesses d’asile ou de première génération, qui doivent composer avec des vecteurs de pression multiples, tels que la marginalisation sociale, économique et culturelle. Ces réalités méritent une attention accrue pour adapter les interventions et offrir des solutions inclusives et pertinentes.
Enfin, ces projets s’inscrivent dans une démarche intersectionnelle, où il s’agit de reconnaître et d’analyser les différentes oppressions qui se superposent et s’entrelacent dans les parcours de vie des individus. En combinant recherche, pratique et collaboration avec les communautés, je souhaite contribuer à des transformations concrètes dans les pratiques professionnelles et à une meilleure justice sociale.