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Les questions éthiques dans le cadre de la pratique clinique en dépendance

Les questions éthiques dans le cadre de la pratique clinique en dépendance

Qui conseille les professionnel.le.s du réseau de la santé et des services sociaux face à des enjeux de nature éthique concernant les pratiques cliniques ? Qui s’assure du respect et de la protection des personnes tout en offrant un rôle d’accompagnement et de sensibilisation à l’éthique en contexte de soins ? Qui suscite des réflexions sur les pratiques et assure la promotion de l’intégration de ces valeurs dans le cadre de pratiques quotidiennes ?

Any Brouillette

 

Entrevue avec Any Brouillette, PhT, M.A. Bioéthique      

Conseillère en éthique à la Direction adjointe Qualité, risque et éthique du CIUSSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal

IUD : Bonjour Madame Brouillette. Dans un premier temps, pourriez-vous nous décrire le rôle d’un.e conseiller.ère à l’éthique ?

Any Brouillette : Notre rôle est principalement de soutenir une prise de décision. Cela peut être par exemple au niveau d’une équipe de soins traitant un usager, ou même d’un gestionnaire plongé dans l’organisation d’une nouvelle offre de service. Nous allons donc nous intégrer à une équipe afin de la soutenir et de l’accompagner dans sa prise de décision. 

Les équipes qui font appel à nous vivent généralement une situation inconfortable dans laquelle s’installent plusieurs malaises. Il n’y a pas toujours de solution gagnante, alors parfois, il faut opter pour la solution qui semble la moins pire ou la moins préjudiciable pour l’usager et l’équipe de soins. En accompagnant les équipes dans leurs réflexions, nous les aidons aussi à identifier en quoi la décision qu’ils ont prise est légitime.  

Notre objectif principal est d’enrichir le questionnement et d’aider les équipes à voir la situation avec une autre paire de lunettes. Les aider à voir certains aspects qu'elles n’avaient peut-être pas considérés de prime abord et qui pourraient les aider à dénouer l'impasse dans laquelle elles se retrouvent. 

Nous ne prenons pas de décision pour l’équipe qui nous interpelle, pas plus que nous leur offrons de solution sur mesure. Contrairement à des commissaires à l’éthique qui établissent la conformité à certaines normes, les conseillers à l’éthique aident les équipes confrontées à certaines situations à réfléchir aux différentes options qui s’offrent à elles à l’intérieur de ces normes et à choisir laquelle elles privilégient. 

IUD : Pourriez-vous nous donner quelques exemples de situations où vous avez été consulté à titre de conseillère à l’éthique ?

A. B. : L’une des raisons pour lesquelles je suis régulièrement consultée est lorsqu’une équipe se demande si elle fait plus de torts que de bien à la suite de certaines actions ou interventions. En fait, il s’agit de la réflexion autour des principes de bienfaisance/non-malfaisance. Dans un même ordre d’idée, il arrive qu’un professionnel se demande s’il doit protéger l’usager contre lui-même ou accepter sa gestion du risque. Dans cet exemple, il y a un enjeu au niveau des valeurs de sécurité versus d’autonomie décisionnelle de l’usager. 

Une autre raison pour laquelle je suis régulièrement consultée est celle liée au consentement libre et éclairé. Par exemple, est-ce que l’usager qui choisit une option thérapeutique ou de poursuivre ou non sa consommation le fait par choix libre et éclairé? Cette question nous amène à la réalité que poursuivre sa consommation est parfois une option valable pour l’usager avec tous les risques que cela comporte. L’intervention devra se faire en tenant compte des risques, mais aussi du fait qu’il s’agit du choix de l’usager et donc, de nos obligations de respecter son autonomie. 

Je reçois aussi beaucoup de questions concernant la confidentialité, ou plus précisément, la tenue de dossier. Par exemple, qu'est-ce que j'écris au dossier? Est-ce que mes notes peuvent être préjudiciables pour l’usager? Tout ce que j'écris dans son dossier, beaucoup d'intervenants de divers milieux peuvent y avoir accès... Alors, est-ce qu'un professionnel qui n'est pas en dépendance va bien comprendre toutes les nuances du suivi en dépendance? De plus, comme certains professionnels de la santé et des services sociaux peuvent avoir une clé d’accès au Dossier Santé Québec (DSQ), ils ont ainsi accès à certaines informations que l’usager ne leur a peut-être pas partagées, ce qui peut parfois les placer dans une position délicate. Quelle valeur dois-je alors favoriser, la transparence ou le respect de la vie privée? 

IUD : Quel est votre processus de soutien lorsque vous recevez une demande d’accompagnement ? 

A. B. : Tout d’abord, nous voulons que ce soit le plus simple possible pour les personnes ou les équipes qui nous consultent. Un simple appel téléphonique ou un envoi par courriel est suffisant pour initier la demande. Nous allons aussi nous adapter au rythme de la personne ou de l’équipe requérante. Parfois, les situations exigent que nous soyons présents rapidement, comme pour une équipe des soins intensifs, ou bien une équipe qui rencontre un usager la journée même et qui doit prendre ou non une décision en ordonnance de soins.

Nous avons mis en place une structure qui nous permet de répondre rapidement et facilement aux demandes de soutien. 

Si les équipes en ressentent le besoin, nous pouvons également nous présenter sur place. Nous pouvons aussi interpeller d’autres personnes afin qu’elles apportent et partagent leurs expertises lors de la réflexion. Ces personnes peuvent provenir du réseau de la santé ou du milieu communautaire. Nous voulons vraiment nous coller à la réalité des équipes et à leurs besoins, c’est pourquoi nous adaptons nos réponses selon les différentes situations.

IUD : Pourquoi les équipes devraient-elles faire appel à un.e conseiller.ère à l’éthique ?

A. B. : Il y a trois grandes raisons. La première est l'apport d’un regard externe qui aide lorsque nous sommes trop près ou trop impliqués dans une situation complexe. Parfois il arrive qu’une équipe galère un bon moment à essayer de trouver la meilleure solution, mais elle est trop près et trop impliquée dans la situation et n’y parvient pas. Le regard externe de quelqu'un qui vient poser des questions, et remettre en question ce qui a été essayé ou non, va généralement donner à l'équipe un nouveau souffle pouvant la conduire vers une meilleure prise de décision.

La seconde raison est de permettre à l’équipe de développer un sens commun de la situation. Il est tout à fait normal qu’un professionnel qui suit un usager, même s’il le fait en équipe, ait sa propre vision de la situation, car dépendamment du type de professionnel, chacun voit l'usager à travers ses propres lunettes de professionnel. En développant le sens commun, cela permet à l'équipe de vraiment trancher pour une solution plutôt qu'une autre en considérant les valeurs de l’usager et ce qu’il souhaite. En développant ce sens commun, l’équipe se sent légitimée et sait au nom de quoi elle prend cette décision. 

La dernière raison est liée au devoir des équipes d’aller au bout de leurs moyens. Ce sont des situations où les professionnels se questionnent sur leurs responsabilités déontologiques, mais aussi humaines, ou lorsque des situations risquent de se judiciariser. Comme les intervenants du réseau ont une obligation de moyen et non de résultat, la réflexion éthique est un moyen de plus qu’ils mettent à profit.  En s'alliant des personnes externes qui les aident à réfléchir à leurs options, ils s’inscrivent dans le respect de cette obligation d’aller au bout de leurs moyens. 

IUD : Comment les équipes doivent-elles procéder si elles souhaitent avoir accès aux services d’un.e conseiller.ère à l’éthique ?

A. B. : Pour les intervenants, pas seulement à Montréal, mais à travers le Québec, qui souhaiteraient avoir accès au service d'un conseiller à l'éthique, les mécanismes varient d'un établissement à l'autre. Dans la majorité des CIUSSS et des CISSS, les conseillers en éthique sont sous l'autorité du directeur de la qualité, de l'évaluation, de la performance et de l'éthique clinique (DQEPE). Certains établissements mandatent aussi une personne pour recevoir les demandes qui seront redirigées vers des éthiciens de l'externe. 

Cependant, tous les établissements doivent avoir ce qu'on appelle un cadre conceptuel en éthique. Il s’agit d’une obligation d'Agrément Canada

Chaque établissement doit donc avoir un cadre conceptuel en éthique qui résume les mécanismes qui sont prévus pour soutenir les professionnels dans leurs prises de décision éthique. Les intervenants peuvent ainsi y retrouver comment faire appel au service d’éthique.

En ce qui concerne les organismes communautaires, qui sont en dehors du réseau, mais qui sont tout de même nos collaborateurs, ils peuvent interpeller un éthicien ou un conseiller en éthique qui va travailler de façon autonome. Par contre, si la demande concerne un de nos usagers, il est possible de répondre à la demande et de rencontrer l’équipe de l’organisme communautaire avec l’équipe qui a l’usager à sa charge. Des ententes de collaboration peuvent aussi être prises entre un établissement et un organisme partenaire.