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Les perspectives thérapeutiques des substances psychédéliques

Au cours des dernières années, l’émergence des substances psychédéliques a marqué le paysage de la psychopharmacologie et de la thérapie. En raison des limites des traitements conventionnels, les paradigmes traditionnels de traitement des troubles mentaux et des dépendances sont en mutation, tout comme les politiques gouvernant l’utilisation de ces substances. Des approches novatrices, telles que la thérapie assistée par la psilocybine, sont au cœur de ce changement.

Entrevue avec
Jean-Sébastien Fallu, Ph. D.

Chercheur régulier à l’IUD
Professeur agrégé
École de psychoéducation
Université de Montréal

IUD : Bonjour M. Fallu. Dans un premier temps, pourriez-vous nous expliquer brièvement ce qu’est une substance psychédélique et en quoi consiste la thérapie assistée par ce type de substances?

Jean-Sébastien Fallu :  Les substances psychédéliques constituent une catégorie étendue de composés, englobant principalement les psychédéliques dits « classiques », tels que la psilocybine (substance psychoactive contenue dans les champignons magiques), le LSD et la DMT. Ces composés interagissent principalement avec les neurotransmetteurs sérotoninergiques, induisant des effets spécifiques dans le cerveau. D’autres substances aux propriétés thérapeutiques similaires sont parfois incluses, telles que la kétamine et le MDMA.

En ce qui concerne la thérapie assistée par les substances psychédéliques, il est essentiel de souligner que chaque substance et chaque thérapie présentent des particularités distinctes. Par exemple, le MDMA est généralement administré en trois séances, tandis que la psilocybine est généralement administrée en une seule séance de six à huit heures. Il importe de souligner que la consommation de ces substances, parfois en faibles doses, parfois en plus fortes doses, est un adjuvant à une psychothérapie à laquelle elle est couplée. Peu importe la substance utilisée, le processus thérapeutique inclut systématiquement une phase de préparation, une phase de dosage supervisé et, enfin, une phase d’intégration, au cours de laquelle les patients réfléchissent et intègrent leurs expériences dans leur vie quotidienne.

IUD : En quoi cette thérapie assistée par des substances psychédéliques se distingue-t-elle des approches conventionnelles et quels sont les avantages potentiels de son utilisation dans un contexte thérapeutique?

J.-S. F. : La thérapie assistée par des substances psychédéliques se démarque nettement des approches conventionnelles en raison de sa nature intégrative, combinant l’administration de substances psychédéliques avec une psychothérapie guidée.

Contrairement aux traitements traditionnels, qui se limitent souvent à la prescription médicamenteuse, cette approche incorpore des mécanismes d’action distincts ou supplétifs, tels que la dissolution de l’ego, l’accès accru à l’inconscient et l’atténuation des réflexions automatiques, ainsi que le développement de nouvelles voies de réflexion mettant à profit de nouvelles connexions dans le cerveau. 

Ces substances peuvent aussi induire des expériences mystiques ou spirituelles, apportant des dimensions uniques et enrichissantes à la thérapie, absentes des méthodes conventionnelles. De plus, la phase de préparation et d’intégration associée à ces thérapies va bien au-delà de la simple prise de médicaments; elle englobe une réflexion approfondie et une intégration des expériences dans la vie quotidienne des patients, ce qui contribue à leur bien-être mental à long terme.

IUD : Outre les dépendances, ces substances pourraient-elles s’avérer particulièrement prometteuses pour traiter certaines conditions en comparaison à d’autres approches thérapeutiques et comment cela pourrait-il changer la donne?

J.-S. F. : Certainement, il existe des domaines d’application où l’efficacité des substances psychédéliques est bien documentée. Un exemple notable est l’utilisation de la psilocybine pour traiter la détresse existentielle en fin de vie, une indication pour laquelle Santé Canada a autorisé son utilisation dans le cadre de son Programme d’accès spécial (PAS). Des preuves scientifiques solides provenant d’études menées dans divers centres de recherche démontrent l’efficacité de la psilocybine dans ce contexte.

Les résultats montrent des effets bénéfiques plus considérables et durables par rapport aux thérapies conventionnelles, tels que les antidépresseurs. 

De plus, des études explorant l’utilisation de la psilocybine dans le traitement du trouble obsessionnel compulsif ont mené à des résultats encourageants. Bien que d’autres substances comme le LSD et le MDMA aient été étudiées pour des indications spécifiques, notamment le syndrome de stress post-traumatique pour le MDMA, il est clair que la recherche sur les psychédéliques ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques pour un large éventail de conditions, allant de la détresse existentielle à la dépendance et au trouble obsessionnel compulsif.

IUD : Comment envisagez-vous l’avenir de la thérapie assistée par les substances psychédéliques? Y a-t-il des défis potentiels, y compris sur le plan éthique, qui devront être relevés afin d’élargir son utilisation?

J.-S. F. : L’avenir de la thérapie assistée par les substances psychédéliques présente des perspectives prometteuses, offrant de multiples applications thérapeutiques potentielles. Cependant, des défis de taille doivent être relevés pour favoriser son intégration et son accessibilité. 

Parmi ces défis, nommons la complexité du processus thérapeutique, qui exige un investissement considérable en temps et en ressources contrairement à la simple administration d’un médicament. La nécessité d’une préparation minutieuse, d’une supervision pendant la séance et d’une intégration post-thérapeutique ajoute une exigence à cette approche, la rendant moins adaptée à un système de santé déjà sous pression. Ses bienfaits substantiels pourraient cependant en faire une thérapie efficiente.

De plus, cette approche soulève des questions éthiques importantes, notamment en ce qui concerne l’accès financier et la répartition équitable des ressources thérapeutiques. Actuellement, l’accès à ces thérapies peut être limité par leur coût élevé, créant ainsi des inégalités d’accès aux soins de santé. Les enjeux éthiques se manifestent également dans le débat sur la sécurité et l’efficacité des traitements, ainsi que dans les dilemmes moraux auxquels sont confrontés les professionnels de la santé dans la prise de décisions complexes, telles que l’inclusion des patients atteints de maladies graves dans les essais cliniques et dans la thérapie. 

Pour surmonter ces obstacles, des efforts concertés sont nécessaires pour élaborer des politiques éthiques et des lignes directrices claires, ainsi que pour élargir l’accès aux thérapies psychédéliques tout en garantissant leur utilisation sécuritaire et responsable.

IUD : En ce qui a trait à la recherche, comment le cadre juridique et réglementaire actuel influe-t-il sur l’étude des substances psychédéliques? Quelles évolutions seraient souhaitables afin de faciliter davantage la recherche clinique et l’application thérapeutique de ces substances?

J.-S. F. : Le cadre juridique et réglementaire actuel constitue un obstacle considérable à la recherche sur les substances psychédéliques, affectant à la fois les études cliniques et l’accessibilité à ces traitements. Leur statut légal en tant que substances contrôlées entrave non seulement la conduite des études, mais aussi la perception du public, contribuant à une stigmatisation qui nuit à leur exploration scientifique. Cette réticence peut également se manifester au sein même des communautés scientifiques et médicales où les recherches sur les psychédéliques et les thérapies y ayant recours peuvent être perçues comme marginales ou controversées. Les restrictions légales limitent également l’offre de ces traitements, créant des barrières à l’accès pour les patients nécessitant d’autres options thérapeutiques. 

Pour faciliter la recherche clinique et l’application thérapeutique des substances psychédéliques, les réglementations doivent évoluer. Il est crucial de simplifier les procédures d’approbation pour mener des études tout en garantissant des normes de sécurité et d’éthique appropriées.

De plus, il est impératif de sensibiliser les professionnels de la santé et le grand public aux avantages potentiels de ces traitements afin de réduire la stigmatisation, d’en augmenter l’accès et d’encourager une approche plus ouverte à l’exploration scientifique. En favorisant un environnement réglementaire plus flexible et en investissant dans la recherche, il serait possible d’élargir l’accès à ces thérapies novatrices et de répondre aux besoins non satisfaits des patients souffrant de diverses conditions.

IUD : En terminant, quelles attentes réalistes devrions-nous avoir envers la thérapie assistée par des substances psychédéliques?

J.-S. F. : Les attentes réalistes à l’égard de la thérapie assistée par des substances psychédéliques devraient être tempérées par une compréhension nuancée de ses limites et de ses bénéfices potentiels. Bien que ces traitements puissent procurer un soulagement significatif, et ce, pour un large éventail de problèmes de santé mentale, il est important de reconnaître qu’ils ne constituent pas une solution miracle universelle. 

L’intégration de ces thérapies dans les services de santé prendra du temps et nécessitera un engagement continu en matière de recherche et de réglementation. Il est essentiel de promouvoir une approche réaliste et équilibrée, reconnaissant à la fois le potentiel thérapeutique des substances psychédéliques et les défis associés à leur utilisation. Alors que ces traitements peuvent offrir de l’espoir aux personnes qui se sentent désespérées, il est crucial de maintenir des attentes raisonnables quant à leur efficacité – qui pourrait tout de même s’avérer substantielle – et à leur accessibilité à long terme.

Entrevue réalisée par Geneviève Fortin, agente d’information et de transfert de connaissances, IUD