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Le vieillissement en recherche : pourquoi s’y intéresser?

Le vieillissement en recherche est un domaine vaste et en constante évolution, qui traite de questions complexes liées à la perte d’autonomie, aux besoins en matière de soins et aux enjeux sociaux. Cette sphère multidimensionnelle offre un aperçu essentiel de la vie des personnes âgées, nous amenant à des explorations continues et approfondies pour mieux relever les défis et saisir les occasions en lien avec le vieillissement.

Vincent Vagner

Entrevue avec
Vincent Wagner, Ph. D.

Chercheur d’établissement
Institut universitaire sur les dépendances 
Direction de l’enseignement universitaire et de la recherche 
Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal 

IUD : Bonjour M. Wagner. Le terme « vieillissement » peut revêtir différentes significations selon le contexte. Comment le définiriez-vous dans le cadre de vos recherches?

Vincent Wagner :  Bien que mon parcours m’ait conduit à m’intéresser à ce domaine, je tiens d’abord à préciser que je ne suis pas un expert en vieillissement ou en gérontologie. À mes yeux, le vieillissement englobe un large éventail de changements, notamment physiologiques. Cependant, ce qui me semble particulièrement intéressant, c’est l’aspect social du vieillissement, la manière dont l’avancée en âge influence notamment les relations sociales, professionnelles et familiales.

La question de la perte d’autonomie – un aspect intimement lié au processus de vieillissement – capte plus précisément mon attention. Cela englobe les limitations physiques et cognitives qui surviennent avec l’avancée en âge. Ces changements nécessitent un accompagnement particulier, des soins adaptés et un suivi rigoureux pour les activités quotidiennes et la santé globale. C’est un sujet vaste d’une importance cruciale (et croissante) dans notre société.

IUD : Pourriez-vous nous dire comment vous en êtes venu à vous intéresser plus particulièrement à ces personnes?

V. W. : En fait, il y aurait deux volets à ma réponse. En tant que chercheur d’établissement à l’IUD, j’ai pour mission de soutenir les milieux de pratique. L’émergence de cette thématique remonte alors à 2019, lorsque des discussions ont eu lieu entre la Direction des programmes de santé mentale et dépendance de notre institution et la Direction des programmes de soutien à l’autonomie des personnes âgées. Elles observaient depuis quelque temps l’émergence d’une population particulière de plus en plus présente dans certaines ressources et certains établissements d’hébergement.

Cette population en perte d’autonomie se distingue par le défi que représente sa prise en charge, car elle ne correspond pas au profil gériatrique habituel des personnes de 65 ans ou plus que l’on trouve dans les Centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD).

Ces personnes ont des parcours sociaux variés, parfois marqués par la précarité économique, voire l’itinérance. Je ne prétends pas qu’elles partagent toutes ces expériences, mais un certain nombre a connu de telles réalités. Cela a créé une concentration de cette population dans ces établissements, ce qui pose un défi aux intervenants, qui ne savent pas toujours comment répondre à leurs besoins. 

En ce qui me concerne, cette sollicitation a résonné profondément, et j’ai pu constater à travers la réalisation de mes projets de recherche à quel point il est important de répondre aux besoins de ces personnes. Mon propre vécu entre également en jeu lorsque je m’intéresse aux personnes plus âgées. Je me projette dans la situation et réfléchis à quel type d’accompagnement et de suivi j’aimerais que l’on réserve à mes proches ou à moi-même, à un stade plus avancé de la vie. C’est pourquoi ce sujet est, pour moi, particulièrement significatif et sensible. Il nous amène à nous questionner sur la qualité de l’accompagnement et des soins que nous offrons, ainsi que sur la nécessité d’en faire peut-être davantage.

IUD : Quels sont, selon vous, les enjeux les plus pressants liés au vieillissement qui ont suscité votre intérêt et votre engagement auprès de ces personnes?

V. W. : À la lumière des réalités que j’ai découvertes et de mes interactions avec les usagers, je considère qu’il est essentiel de fournir des services parfaitement adaptés à leur vécu. Cependant, il reste de nombreuses lacunes à corriger, principalement parce que les différents niveaux de services ont de la difficulté à collaborer, chacun possédant une expertise, mais peinant à travailler ensemble de manière harmonieuse. Cela constitue un véritable obstacle, car certaines personnes n’ont pas accès aux services qui répondraient véritablement à leurs besoins, en particulier avec ces profils complexes.

Je ne peux aussi m’empêcher de faire le lien avec ce que nous avons vécu lors de la pandémie de COVID-19, car mes projets se sont déroulés à cette période. La pandémie a révélé certaines vulnérabilités dans ces milieux.

Les enjeux associant la perte d’autonomie à la consommation de substances psychoactives étaient déjà préexistants, et leur fréquence n’a cessé d’augmenter au fil du temps. Alors que la population continue de vieillir, les enjeux se complexifient et viennent remettre en question la manière dont nous abordons la vieillesse et la consommation à un âge avancé.

Le croisement des situations de vulnérabilité, les problématiques de marginalisation et de précarité ajoutent une couche de complexité à ces enjeux. Il est « facile » de laisser certaines personnes au bord du chemin, et nous devons incontestablement faire face à cette réalité de manière plus efficace.

IUD : Pourriez-vous nous parler de vos projets de recherche actuels? Sur quels sujets ou questions concentrez-vous actuellement vos efforts?

V. W. : Mes projets de recherche comportent plusieurs volets formant une grande famille de travaux. Nous avons commencé par étudier les CHSLD accueillant des personnes âgées au Québec. Cependant, nous avons rapidement constaté des réalités similaires dans d’autres établissements d’hébergement. C’est ainsi que nous avons progressivement creusé la question de la précarité, de plus en plus prédominante. À ce moment-là, nous avons également élargi notre champ d’études au milieu communautaire qui accueille des personnes âgées plus précaires.

Le CHSLD était vraiment vu comme le dernier recours, la dernière option pour les personnes qui ne peuvent plus rester seules, voire qui n’ont plus de domicile. Mais avant cela, les ressources communautaires étaient le principal point d’interaction de ces personnes provenant parfois de la rue. Dans cette optique, nous avons cherché à comprendre ce qui se passait pour elles avant qu’elles n’arrivent dans les établissements de soins dans le réseau, et nous avons découvert que ces trajectoires étaient longues et complexes.

La réalité d’une personne en situation d’itinérance depuis de nombreuses années diffère beaucoup de celle d’une personne ayant basculé dans la précarité plus tardivement dans sa vie; cette dernière connaît peut-être moins les ressources et les réalités de la rue. Il y a aussi divers enjeux dont il faut tenir compte, notamment des problèmes physiques, cognitifs, de santé mentale et de violence, ainsi que des traumatismes.

Nous travaillons donc à mettre en place des solutions, par la recherche, notamment en matière d’accessibilité et d’adaptation des services pour répondre aux besoins de ces personnes âgées. Dans ce processus, nous avons impliqué des usagers de services, des intervenants, des gestionnaires. Nous avons aussi cherché à recueillir l’expertise et l’expérience des usagers pour guider nos travaux de recherche à long terme et de manière plus transversale. Ces rencontres avec de tels pairs chercheurs sont enrichissantes et apportent un soutien essentiel à nos travaux.

IUD : Vous avez mentionné travailler avec des pairs chercheurs. Comment cette collaboration enrichit-elle vos recherches par rapport à une collaboration purement académique? 

V. W. : Comme je l’ai mentionné, mener des entrevues avec un certain nombre d’usagers ou de résidents dans un établissement, c’est une chose. Mais solliciter quelqu’un qui possède cette expertise et cette expérience vécue et l’inviter à avoir un rôle lui permettant de nous accompagner dans notre processus de recherche, c’est un atout considérable. Cela leur permet aussi d’avoir une vision plus large de la recherche et de nos objectifs. Il peut toutefois être difficile pour une personne non familière avec le domaine de la recherche de s’impliquer immédiatement.

Il y a tout un processus d’identification et d’accompagnement initial de ces personnes à considérer, mais je trouve que cela apporte toujours une véritable richesse à nos projets.

Lors de ces collaborations, nous leur soumettons, par exemple, les questions que nous envisageons de poser et les thématiques qui nous intéressent, et nous sollicitons leur avis sur la meilleure manière de les formuler. Ces échanges peuvent modifier notre approche au fur et à mesure que nous avançons, car nos processus de recherche sont itératifs. Nous leur présentons ensuite le contenu que nous avons recueilli –  des extraits d’entretiens, des verbatims, etc. – puis nous discutons avec eux pour recueillir leurs impressions, leurs perspectives et leurs suggestions pour approfondir notre compréhension des phénomènes étudiés.

Cette approche interactive nous permet d’explorer davantage les sujets que nous étudions, au-delà de nos perspectives de chercheurs, et elle enrichit notre compréhension des enjeux du vieillissement. Par ailleurs, la dynamique relationnelle entre moi, étant relativement jeune, et les personnes plus âgées avec lesquelles je collabore est unique. J’arrive en tant que chercheur, mais j’adopte une position d’humilité, reconnaissant que ce sont elles qui détiennent l’expertise de leur propre vécu. Leurs expériences de vie sont riches, parfois difficiles. C’est une expérience humaine qui m’apporte beaucoup sur le plan personnel.

IUD : En terminant, pourriez-vous nous dire s’il y a des questions de recherche émergentes ou des domaines encore peu explorés du vieillissement qui vous intriguent et que vous envisagez d’aborder?

V. W. : L’une des perspectives que je cherche à développer davantage concerne le soutien à domicile. Il s’agit de se pencher sur ce qui se passe souvent avant même l’hébergement, dans des situations où les personnes ont encore un domicile, parfois plus ou moins permanent, stable ou sécuritaire. Le domaine du soutien à domicile est aussi extrêmement riche et comprend une multitude de contextes d’intervention. J’ai déjà eu des discussions avec des acteurs de ce milieu, et je trouve que cela constitue une autre pièce essentielle du casse-tête général du continuum de services.

En parallèle, il y a bien entendu les projets actuels que nous devons continuer à développer pour qu’ils aient une incidence réelle et contribuent à des changements pratiques et organisationnels significatifs. Il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine.
 

Entrevue réalisée par Geneviève Fortin, agente d’information et de transfert de connaissances, IUD