IUD : Bonjour Madame This. Vous avez réalisé une série de quatre capsules vidéo abordant la thématique du chemsex en intervention. Dans un premier temps, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le chemsex?
Jeanne This : Le mot chemsex est une contraction combinant « chemical » (produits chimiques en anglais) et sexe.
Ce terme fait référence à l’utilisation intentionnelle de certaines substances psychoactives (SPA) en contexte sexuel dans le but de prolonger ou d’intensifier les relations sexuelles. Il s’agit d’un phénomène qui émerge de la culture gaie et bisexuelle et qui s’inscrit dans un contexte d’activités sexuelles entre hommes. Les substances qui y sont le plus souvent associées sont le GHB, la méthamphétamine (crystal meth), la kétamine, la cocaïne et parfois les dérivés de la cathinone, dont la méphédrone, mais cette dernière, à ma connaissance, est rarement utilisée au Canada.
IUD : Pourriez-vous nous dire d’où vous est venue l’idée de produire ces capsules?
J. T. : L’idée d’aborder le chemsex en intervention vient du fait que je suis en ce moment candidate à la maitrise et que mon projet de mémoire porte sur les motivations à pratiquer le chemsex chez les hommes.
En me documentant sur le sujet, j’ai réalisé que dans le cadre d’interventions, ce qui ressort, c’est que les hommes abordent très peu, voire jamais, leur pratique du chemsex lorsqu’ils consultent dans divers services de santé.
L’une des raisons évoquées pour expliquer cette réticence à aborder le sujet est la peur d’être jugé ou incompris par les professionnel(le)s de la santé et des services sociaux, mais aussi, parfois, la honte associée soit à son orientation sexuelle, à ses pratiques sexuelles ou même à ses comportements de consommation socialement stigmatisés.
À la suite de ces constats, je me suis demandée comment je pouvais aborder cette problématique. C’est en discutant avec mon directeur de stage Jorge Flores-Aranda, chercheur régulier à l’IUD et professeur à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), que l’idée de produire une série de capsules vidéo est née. Aussi, en raison du contexte de crise sanitaire actuelle, de plus en plus de personnes se tournent désormais vers des contenus en ligne afin de s’informer. Cette série de capsules vidéo s’inscrit donc dans cette nouvelle tangente d'outils de formation en ligne.
IUD : À qui s’adresse cette série de capsules vidéo?
J. T. : Cette série de capsules vidéo s’adresse à tous les professionnel(le)s de la santé et des services sociaux, qu’ils proviennent des milieux institutionnels ou communautaires, ou toutes personnes qui, dans le cadre de son travail, est en lien avec des hommes qui pratiquent le chemsex.
Il s’agit d’un outil synthèse de mise à niveau des connaissances qui peut être utilisé dans le cadre de formations générales et de formations cliniques. Bien entendu, ces quatre capsules ne permettent pas à elles seules de devenir expert du chemsex en intervention, mais elles définissent les connaissances de base et, je l’espère, donneront envie aux intervenant(e)s d’aller plus loin afin d’approfondir leur connaissance en la matière.
IUD : Quel a été votre processus afin de réaliser cette série de capsules vidéo?
J. T. : Dans un premier temps, Jorge Flores-Aranda et moi-même avons déterminé ce qu’il était important de transmettre. Par exemple : ce qu’est le chemsex, quels comportements y sont généralement associés, la culture, les motivations, les enjeux, pourquoi il est si peu abordé, etc. Nous voulions aussi fournir des conseils pratiques aux professionnel(le)s qui auront à intervenir auprès des hommes qui le pratiquent.
Une fois cela établi, je suis allée à la rencontre de médecins, de sexologues, d’intervenants en dépendance, de travailleurs sociaux et de pairs aidants afin d’approfondir le sujet. C’est à partir de ces rencontres que j’ai été en mesure de créer le contenu des quatre capsules. J’ai aussi eu la chance de rencontrer les pairs aidants Jean-Sébastien Rousseau et Alexandre Fafard, cofondateurs du projet Ça prend un village.
Ces derniers m’ont sensibilisée aux réalités des hommes qui pratiquent le chemsex, mais aussi de ceux qui ne le pratiquent plus. Ils m’ont encouragée à ajuster mon projet de manière à être plus sensible aux enjeux émotionnels associés à la consommation de SPA, lors de mes entrevues. C’est à ce moment que j’ai modifié mon schéma d’entretien afin d’aborder le chemsex à travers une autre lunette que celle dont j’avais l’habitude d’utiliser en recherche.
À cet effet, j’ai aussi rencontré Daniel Jonathan Laroche, un intervenant qui a déjà abordé ses expériences de chemsex dans le passé avec Mathieu Papillon, journaliste pour l’équipe de RAD (voir l’entrevue de Daniel Jonathan Laroche).
Lors de ces rencontres, j’ai réalisé que l’important pour eux c’est que nous puissions les voir, voir des visages d’hommes qui s’en sont sortis et qu’il y a toujours de l’espoir. Le message qu’ils souhaitent adresser aux intervenant(e)s c’est :
« Croyez-y lorsque vous allez intervenir avec un homme qui souhaite modifier ses comportements. C’est possible de s’en sortir, nous en sommes la preuve. »
C’est pourquoi je n’ai pas synthétisé leurs entrevues. Je voulais leur laisser la place afin qu’ils puissent s’adresser aux professionnel(le)s de la santé.
IUD : Pour terminer, qu’avez-vous tiré de ce projet?
J. T. : Tout d’abord, j’ai vraiment aimé mon expérience. Cela m’a permis de réaliser qu’en recherche, même si je ne m’identifie pas ou ne corresponds pas à la population visée par mon projet, il est possible de se familiariser avec le milieu et de faire ressortir la richesse des rencontres que j’y ai faites. J’espère que ces capsules seront utiles aux professionnel(le)s de la santé et que les hommes qui pratiquent le chemsex en bénéficieront à leur tour.