Au Québec, les jeunes de 14 à 25 ans qui consomment du cannabis disposent maintenant d’un tout nouvel outil qui leur permet de recevoir un accompagnement gratuit, sécuritaire et confidentiel.
Chercheur régulier, IUD
Professeur, Département de sexologie, Université du Québec à Montréal
IUD : Bonjour M. Goyette. Dans un premier temps, pourriez-vous nous dire en quoi consiste Canna-Coach?
Mathieu Goyette : Oui, bien sûr. Visant à réduire les méfaits de la consommation de cannabis, Canna-Coach se compose de deux modules complémentaires : une application accessible sur les sites de distribution d’applications mobiles et un forum de discussion. Canna-Coach est destinée aux jeunes de 14 à 25 ans dont la consommation de cannabis peut comporter des risques ou être associée à des conséquences. Elle a pour but de les amener à réfléchir à leur consommation et de les soutenir dans leur démarche de changement, s’ils le souhaitent.
Les jeunes peuvent être accompagnés par un coach virtuel, réaliser un suivi de leur démarche, recevoir des notifications et accéder à de l’information et à des ressources pour les aider. L’application leur permet également de recevoir des encouragements et des récompenses.
Quant au forum de discussion, il permet aux jeunes de discuter avec d’autres jeunes qui vivent des situations similaires. Cet aspect est plus novateur selon moi, car les jeunes peuvent s’entraider et se soutenir en ligne tout au long de leur démarche de changement. Le forum est animé par d’autres jeunes qui ont le statut de pair aidant. Des intervenants assurent le bon déroulement des activités afin que l’espace de discussion soit sécuritaire.
IUD : Comment Canna-Coach a-t-elle été développée?
M. G. : Canna-Coach a été développée au moyen d’une approche communautaire. Les personnes à qui l’application est destinée ont participé au processus de développement, de la conception à la diffusion. Des jeunes ont été consultés de façon continue tout au long du projet et ont été considérés comme des codéveloppeurs à part entière. Ils ont participé à la révision des thèmes, du contenu, du format et de l’ergonomie de l’application et du forum, ce qui a permis de mieux répondre à leurs besoins et de leur offrir une voix dans la mise en œuvre des services qu’ils reçoivent.
Le projet a aussi été conçu en se basant sur des connaissances issues de données probantes ainsi que sur l’expertise clinique des personnes qui œuvrent auprès des jeunes consommateurs de cannabis. L’objectif était de développer une application mobile pouvant rejoindre les jeunes là où ils sont. C’est pourquoi il était essentiel que les jeunes soient impliqués dans le développement de Canna-Coach dès le début, car ils sont les mieux placés pour définir les problèmes et les besoins liés à leur consommation de cannabis et déterminer comment ils souhaitent être soutenus pendant leur démarche de changement.
IUD : Comment Canna-Coach peut-elle soutenir l’intervention auprès des jeunes?
M. G. : Canna-Coach peut être un outil utile pour soutenir les intervenants en dépendance ou dans d’autres domaines qui travaillent auprès des jeunes.
Par exemple, si un jeune évoque sa consommation de cannabis et ne souhaite pas obtenir une aide ou un suivi formel de la part d’un intervenant, l’application peut être une ressource intéressante pour l’orienter. Un intervenant en dépendance peut aussi proposer l’application comme un soutien supplémentaire entre les rencontres ou après avoir offert certains services.
Cependant, il est important de souligner que l’application ne remplace pas un intervenant en dépendance, notamment pour les jeunes dont la consommation est associée à des conséquences importantes. Dans tous les cas, le forum peut offrir un espace sécuritaire d’entraide mutuelle et d’échanges avec d’autres jeunes qui vivent une expérience similaire.
Il faut aussi noter que l’application et le forum de discussion ne constituent pas une solution d’aide d’urgence pour les jeunes qui vivent une situation de crise. D’autres ressources existent pour répondre à ces besoins. Bien que l’application puisse être un instrument de choix, elle ne peut remplacer les interventions personnalisées et adaptées à chaque jeune. De plus, l’application et le forum ne permettent pas une interaction en temps réel entre les jeunes, ce qui peut être perçu comme une limite par certains. Cependant, l’application peut être un outil utile pour soutenir l’intervention auprès des jeunes ou pour offrir un soutien aux jeunes qui ne souhaitent pas recevoir des services ou qui ne sont pas prêts à changer.
IUD : Comment Canna-Coach, de façon plus large, nous incite-t-elle à repenser nos pratiques en dépendance, sur les plans individuel et organisationnel?
M. G. : Canna-Coach vient bousculer les pratiques en dépendance en proposant un service en ligne pour les jeunes qui ne souhaitent pas nécessairement bénéficier d’un suivi ou d’une aide formelle d’un intervenant.
Cette approche demande de repenser l’offre de services pour rejoindre les jeunes là où ils sont, c’est-à-dire en ligne sur les médias sociaux. Cela amène une réflexion sur le type d’intervention que nous pouvons offrir pour répondre plus largement aux besoins des jeunes et de la population en général.
Cette nouvelle approche suscite également une réflexion sur la gestion des services. En effet, Canna-Coach propose un nouveau type de service qui n’est pas habituel dans les pratiques en dépendance. Il est donc nécessaire de mettre en place de nouvelles balises pour bien encadrer ce type de service et assurer une gestion efficace des interventions. En somme, Canna-Coach oblige les professionnels de la dépendance à repenser leurs pratiques, tant sur le plan individuel que sur le plan organisationnel, pour mieux répondre aux besoins des jeunes qui choisissent de consommer du cannabis, mais pas nécessairement de venir nous rencontrer.
IUD : En terminant, comment la recherche sur l’utilisation de Canna-Coach par les jeunes se poursuivra-t-elle dans le futur?
M. G. : Il est encourageant de savoir que Canna-Coach fait l’objet d’un suivi et d’une amélioration continue fondée sur la rétroaction des jeunes utilisateurs et sur les données d’utilisation de l’application et du forum d’entraide. Cette approche permettra d’adapter l’application aux besoins particuliers des jeunes afin de réduire les méfaits de la consommation de cannabis, mais aussi d’optimiser son efficacité. Il sera donc intéressant de suivre l’évolution de la recherche dans ce domaine et de voir comment les résultats obtenus pourront être intégrés à la pratique clinique et à l’offre de services pour les jeunes dont la consommation de cannabis est à l’origine de préoccupations ou de conséquences.