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La proche aidance en contexte de dépendance

Certains membres de l’entourage peuvent assumer le rôle de proche aidant; un rôle essentiel dans le soutien et le rétablissement des personnes confrontées à des problèmes de dépendance. Pourtant, cette réalité est peu connue, et leur expérience demeure souvent dans l’ombre. 

Entrevue avec
Mélissa Côté, Ph. D.

Chercheure régulière, IUD
Professeure adjointe en psychoéducation
Département des fondements et pratiques en éducation
Faculté des sciences de l’éducation 
Université Laval

IUD : Bonjour Mme Côté. Tout d’abord, pourriez-vous expliquer ce que signifie le terme personne proche aidante (PPA) dans un contexte de dépendance?

Mélissa Côté : Dans le contexte québécois, le terme « personne proche aidante » (PPA) a gagné une reconnaissance significative avec l’entrée en vigueur, en octobre 2020, de la Loi visant à reconnaître et à soutenir les PPA. De cette loi découle une Politique nationale pour les PPA qui est soutenue par la mise en œuvre d’un plan d’action gouvernemental (2021-2026).

En gros, une PPA est une personne qui apporte un soutien, qu’il soit émotionnel, financier ou autre, à un proche confronté à une incapacité temporaire ou permanente, qu’elle soit d’ordre physique, psychologique ou psychosociale. Ce lien se caractérise par un lien affectif ou familial, et le soutien peut être de courte ou de longue durée, mais toujours dans un cadre non professionnel. 

La Loi reconnaît que le soutien apporté par les PPA favorise le rétablissement de la personne aidée et améliore sa qualité de vie. Cependant, il est essentiel de noter que ce rôle peut avoir des répercussions sur la santé physique et mentale des PPA, ainsi que sur leur situation financière. Les PPA jouent un rôle actif en utilisant diverses stratégies pour influencer les habitudes de consommation ou de jeux de hasard et d’argent de leur proche en difficulté. Loin d’être impuissantes, elles sont plutôt des protagonistes dans le processus de rétablissement de leur proche.

IUD : Dans le cadre de votre recherche, quelles sont les principales similitudes et distinctions que vous avez identifiées entre l’expérience des PPA en contexte de dépendance et celle des PPA dans d’autres domaines de la santé physique et mentale?

M. C. : Dans le cadre de notre recension des écrits, nous avons constaté que le domaine de la proche aidance en contexte de dépendance est encore relativement peu exploré, avec seulement 79 articles publiés dans le monde. Cependant, il est encourageant de voir que la communauté de recherche du monde entier s’intéresse à ce concept novateur.

En ce qui concerne les similitudes, la plupart des PPA sont des femmes, principalement des conjointes ou des mères, ce qui est également observé dans d’autres domaines de la santé. Cependant, nous avons relevé certaines distinctions notables.

Les PPA en contexte de dépendance semblent plus susceptibles de ressentir de l’épuisement, un fardeau et de la détresse psychologique par rapport à celles qui soutiennent des personnes confrontées à d’autres problèmes de santé physique.

Les PPA en dépendance présentent généralement plus de problèmes de santé physique et mentale, notamment en raison de l’inquiétude liée aux comportements à risque de leur proche (p. ex., surdose, conduite suicidaire, comportements agressifs), à leur plus grande réticence à demander de l’aide ainsi qu’à leur tendance à s’isoler socialement.

Un élément propre au domaine des dépendances est la stigmatisation que vivent les PPA. La société a souvent des idées préconçues erronées envers les personnes en situation de dépendance, les jugeant responsables de leur état, contrairement à d’autres troubles de santé mentale ou physique. Cela peut entraîner des jugements sévères envers les PPA qui soutiennent leur proche en situation de dépendance, contrairement à celles qui prennent soin d’un proche atteint d’autres maladies. Il existe un tabou entourant la prise en charge de proches en situation de dépendance. Malheureusement, les PPA peuvent souvent recevoir de mauvais conseils leur suggérant, par exemple, de se désengager complètement de la relation ou leur laissant entendre qu’elles sont impuissantes devant la consommation de leur proche, ce qui n’est pas observé dans d’autres domaines de la santé physique.

IUD : Pourriez-vous nous expliquer en quoi il est important de reconnaître le statut de PPA en contexte de dépendance? 

M. C. : Le terme « personne proche aidante » revêt une importance cruciale, notamment en raison du phénomène de stigmatisation par association. Il est bien connu que les personnes confrontées à des problèmes de dépendance sont souvent stigmatisées. Par conséquent, leurs proches le sont aussi. En utilisant le terme « personnes proches aidantes », nous contribuons à mettre en lumière le rôle essentiel joué par l’entourage dans le rétablissement de la personne dépendante. Cette reconnaissance accrue pourrait également encourager les personnel de la santé à impliquer davantage les PPA dans le traitement de leur proche, permettant ainsi de reconnaître la valeur ajoutée des proches aidants.

De plus, la reconnaissance légale du statut de PPA, conformément à la Loi, garantit aux proches aidants l’accès à des services adaptés à leurs besoins. Cela signifie que les PPA peuvent bénéficier de soutien et de ressources pour mieux exercer leurs responsabilités et relever les défis quotidiens liés à leur rôle. Cette implication des services en réponse aux besoins des PPA est un élément crucial pour assurer leur bien-être, tout en contribuant au rétablissement de la personne en situation de dépendance.

IUD : Dans le cadre de votre recherche, avez-vous identifié des mesures ou des stratégies adaptées qui pourraient être mises en place pour mieux soutenir les PPA en contexte de dépendance?

M. C. : Tout à fait. Cependant, il importe de noter que ce domaine de recherche est encore émergent et, bien que nous ayons relevé certaines pistes prometteuses, elles nécessitent davantage d’études. L’une des approches envisagées concerne l’autoreconnaissance, c’est-à-dire la prise de conscience de son rôle de proche aidant par les membres de l’entourage. De même, il est crucial que le personnel de la santé puissent également identifier les PPA dans leur pratique.

Il est essentiel de comprendre que le statut de proche aidant comporte certaines limites et qu’il ne s’applique pas à tous les membres de l’entourage en situation de dépendance.

Cependant, dans des contextes particuliers, tels qu’un trouble persistant d’usage de substances ou de jeux de hasard et d’argent, les séjours récurrents à l’hôpital pour des sevrages ou des intoxications, ou encore chez les personnes utilisatrices de drogues injectables, il est plus probable que des membres de l’entourage se retrouvent dans le rôle de proche aidant, devant assumer des responsabilités quotidiennes accrues.

La reconnaissance du statut de PPA pourrait avoir plusieurs avantages, notamment sur le plan fiscal (crédits d’impôt potentiels) ou sur le plan professionnel (congés payés à titre de proche aidant). De plus, elle pourrait donner accès à des services de répit. En fin de compte, cette reconnaissance pourrait apporter des bénéfices considérables aux personnes qui s’engagent dans le soutien de leur proche en situation de dépendance en mettant de l’avant le rôle primordial qu’elles peuvent jouer et en leur permettant aussi de réduire les incidences négatives pouvant découler de ce rôle.

IUD : En terminant, pourriez-vous nous dire quelles sont les prochaines étapes de vos recherches et quelles sont vos aspirations à long terme pour améliorer la compréhension et le soutien des PPA en contexte de dépendance?

M. C. : Eh bien, au Québec, nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir dans ce domaine. Comme je l’ai mentionné précédemment, bien que d’autres chercheurs et chercheuses dans le monde s’intéressent à la question des PPA, au Québec, à ma connaissance, il n’y a pas encore eu d’études approfondies. La première étape consistera donc à délimiter clairement dans quel contexte et quelle réalité nous pouvons parler de proches aidants en dépendance en donnant une voix à l’entourage.

De plus, il est essentiel de noter que la recherche existante a principalement porté sur les femmes en tant que PPA, mais nous ne devons pas oublier que des hommes peuvent également assumer ce rôle.

Par conséquent, nous envisageons de mener des études qualitatives auprès des hommes afin de mieux comprendre leur expérience. Cela nous permettra par la suite d’adapter plus efficacement les services qui leur sont offerts.

Une autre piste de recherche importante consistera à interroger directement les personnes qui sont en situation de dépendance afin de mieux comprendre leur perception du rôle de la PPA. Reconnaître ce statut peut susciter des interrogations ou des malaises chez certaines personnes en constatant qu’elles se retrouvent ainsi dans le rôle de « personnes aidées ». Il serait donc précieux de recueillir leur point de vue pour mieux répondre à leurs besoins.

Enfin, nous prévoyons également d’interroger les intervenants et intervenantes qui travaillent au quotidien avec les PPA pour recueillir leurs perspectives et voir comment nous pouvons adapter les services en mettant davantage l’accent sur le soutien offert aux proches aidants. L’objectif ultime est d’améliorer la compréhension et le soutien des PPA en contexte de dépendance, en tenant compte de leurs besoins précis et en contribuant à briser les multiples barrières qui les entourent.

Entrevue réalisée par Geneviève Fortin, agente d’information et de transfert de connaissances, IUD