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La façon dont l’actualité influence les questions de recherche

L’actualité influence plusieurs aspects de notre vie quotidienne, de notre mode de pensée et de notre vision du monde. Mais a-t-elle une influence concrète sur la sphère scientifique ? Influence-t-elle la recherche et la production de savoirs en matière de dépendance ?

Christophe Huỳnh

Entrevue avec
Christophe Huỳnh, Ph.D.

Chercheur d’établissement, Institut universitaire sur les dépendances 
Professeur associé, Département de psychiatrie et d'addictologie, Université de Montréal
Professeur associé, École de psychoéducation, Université de Montréal
Éditeur délégué, revue scientifique Drogues, santé et société

IUD : Bonjour M. Huỳnh. Dans un premier temps, pourriez-vous nous dire en quoi l’actualité vous inspire dans vos travaux de recherche et de production de savoirs ?

Christophe Huỳnh : En tant que chercheur d’établissement à l’Institut universitaire sur les dépendances, mon mandat est de réaliser des projets de recherche qui mènent à des résultats pouvant servir avant tout aux intervenants, aux cliniciens et aux personnes qui travaillent dans le domaine de la dépendance et de l'usage de substances. Mes travaux doivent donc avoir une certaine résonance pour ces derniers.

Or, il arrive que l’actualité vienne chambouler certaines pratiques, et mes travaux tentent de faire le pont entre les nouvelles réalités sociales et le travail clinique des intervenants.

Ce fut notamment le cas avec la légalisation du cannabis en 2018 et les mesures sanitaires liées à la COVID-19. Ces deux exemples ont mené à des changements importants dans l’offre de services en dépendance et en santé mentale. 

IUD : Pouvez-vous nous en dire davantage sur ces deux exemples ? 

C. H. : En ce qui a trait à la légalisation du cannabis, les années qui l’ont précédée ont été une période de craintes et d’inquiétudes ressenties dans la population générale et véhiculées par les médias. Entre autres, les risques associés à la conduite avec les capacités affaiblies ont régulièrement fait les manchettes. Les gens craignaient qu’il y ait une hausse des accidents de la route causés par des personnes intoxiquées par le cannabis. La population est généralement bien informée en ce qui concerne l’alcool, mais se pose encore beaucoup de questions sur le cannabis. C’est ce qui m’a inspiré un projet de recherche portant sur les caractéristiques personnelles, psychologiques, cliniques et sociales des personnes qui prennent le volant après avoir consommé du cannabis.

En ce qui concerne les mesures sanitaires liées à la COVID-19, c’est au tout début de la pandémie, lorsque les gens ont commencé à se confiner et à limiter leurs contacts, que j’ai réalisé à quel point la consommation est souvent un acte social. Par exemple, le simple fait d’acheter de la drogue, que ce soit dans une boutique ou sur la rue, implique la plupart du temps une transaction humaine. Il y a aussi le fait de consommer dans une fête où l’on échange, partage et achète des drogues sur place. Lorsque les mesures sanitaires ont été mises en place, plusieurs aspects de nos vies, tels que le travail et les loisirs, ont migré vers des espaces virtuels. Je me suis alors demandé si les gens allaient prendre ce même virage numérique par rapport à leurs habitudes de consommation, notamment en ce qui concerne l’achat de substances.

IUD : Y a-t-il des avantages à réaliser des projets de recherche dont le sujet est en lien avec l’actualité ? 

C. H. : Par exemple, puisque ce sont des sujets brûlants, le fait que les gens en parlent même dans leurs soupers de famille ou entre amis indique qu’il y a un réel intérêt.

Donc, traiter de ces sujets dans l’actualité permet d’augmenter le dialogue entre la recherche, le milieu clinique et la population en général. Cela nous permet également de transmettre des messages de prévention, de rectifier certains faits et même de faire évoluer l’opinion publique, comme ce fut notamment le cas avec la réduction des méfaits.

IUD : Avez-vous rencontré certains défis particuliers du fait que vos projets de recherche étaient en lien avec des sujets d’actualité ?

C. H. : Je dirais que c’était surtout des défis en lien des sujets d’actualité qui évoluent très rapidement, comme les mesures sanitaires liées à la COVID-19. Si on se souvient bien, dans les premiers mois de la pandémie, il y avait des points de presse quotidiens et les mesures changeaient parfois en quelques jours. Nous devions donc réagir rapidement et adapter nos questionnaires pour que les questions captent la réalité et que les résultats soient aussi extrapolables dans le futur et servent encore dans cinq ou dix ans.

IUD : Croyez-vous que les retombées de vos projets de recherche influencent elles aussi l’actualité ?

C. H. : Très progressivement et très indirectement aussi. Le fait d’en parler et de présenter nos résultats de recherche dans la sphère médiatique peut faire évoluer la compréhension collective que nous avons de la consommation et de la dépendance. Mais c’est quelque chose qui se déroule sur plusieurs mois, voire plusieurs années. Quand je regarde la conduite avec les capacités affaiblies par le cannabis, par exemple, les mentalités ont quand même évolué en l’espace de quelques années. Au début, les gens avaient surtout une opinion mitigée, puisqu’ils avaient peu ou pas de connaissances sur le sujet. Ils se disaient que c’était comme l’alcool. Lorsque nous regardons les statistiques récentes, nous constatons qu’il y a encore des gens qui conduisent sous l’effet du cannabis, mais que le pourcentage a diminué de près de 20 % au Canada.

En 2018 (avant la légalisation), c’était environ 39 % des consommateurs qui déclaraient avoir déjà pris le volant après avoir consommé du cannabis, un nombre qui est passé à environ 21 % en 2021. 

Cela démontre que les messages de prévention ont un effet bénéfique, mais est-ce attribuable uniquement à mes recherches ? Je ne pense pas. Je crois qu’il s’agit plutôt d’une synergie et que mes recherches contribuent à faire évoluer les choses.

IUD : En terminant, pourriez-vous nous dire comment l’actualité inspirera vos prochains travaux de recherche ?

C. H. : L’actualité va demeurer un moteur pour moi, puisqu’elle me touche, tout comme chacun d’entre nous. Il ne faut pas croire que les chercheurs sont isolés dans leur coin, à l’écart de la société. Élaborer des projets de recherche en lien avec l’actualité me permet d’établir des relations avec les gens et d’ouvrir le dialogue. Il faut que tout le monde puisse se parler, car c’est ce qui va susciter une coopération fructueuse … 

Pour en connaitre davantage à propos des travaux de recherche dont il est question dans cet article : 

Vrai ou faux ? Cannabis et sécurité routière

Habitudes numériques liées à la consommation de substances psychoactives en contexte COVID-19 : résultats préliminaires

Entrevue réalisée par Geneviève Fortin, agente d’information et de transfert de connaissances, IUD